Quand l’autrice Alice Babin m’a dit qu’elle aimerait écrire cinq histoires autour de cinq de mes bijoux, j’ai tout de suite été séduite. Quels chemins allait-elle emprunter ? Quelles micro fictions imaginerait-elle ? Avant qu’elle ne se lance, je n’avais qu’une chose à lui confier : une carte blanche.
Aujourd'hui je vous propose de lire le texte autour de la bague Mawli
"C’était elle qui l’avait choisie. Elle l’avait choisie pour lui. Il ne l’avait jamais portée parce qu’il n’aimait pas « voir ses doigts habillés ». Alors elle l’avait fait rétrécir pour que ça lui aille à elle, se disant qu’elle la porterait pour deux. Elle la mettait au majeur, au centre de la main, et aimait qu’on ne voit qu’elle. Au milieu de sa peau, son argent dessiné brillait. Elle aimait porter leur histoire sur son corps pendant la journée. Dans un mouvement, lorsque sa main surgissait, c’était comme leur histoire qui se rappelait. Le soir, avant de se coucher, Jasmin posait la bague sur le meuble de l’entrée, près des clés, pour ne surtout pas l’oublier.
Un jour, ils s’étaient quittés. C’était un été, il faisait très chaud, la ville se vidait. En faisant ses sacs Jasmin passait devant le meuble de l’entrée et elle ne savait plus. La bague pour deux, sur son doigt à elle, pourquoi la porterait-elle si ils n’étaient plus. Elle allait et venait, et imaginait la bague qui la regardait. Là, près du trousseau de clés, ou seule dans l’appartement lorsqu’elle sortait. Jasmin n’aimait pas la laisser. Lorsqu’elle était dehors, elle pensait à la bague.
Le matin de son départ, avant de claquer la porte, Jasmin tendit subitement le bras, et l’attrapa.
Sur une route départementale, dans un parc national régional, Jasmin conduit. Fenêtres ouvertes sur les champs de tournesols. Jasmin conduit à une main pour laisser l’autre profiter du grand air. Sa main libre plane, danse le long des paysages dorés. Soudain, Jasmin freine. Au beau milieu de la route, Jasmin s’arrête. Elle fouille son sac posé sur le siège passager et enfile la bague sur sa main qui se laissait voler. Elle la glisse comme avant, au majeur, au centre de la main, puis repart.
Sur sa peau bronzée, les dessins du bijou scintillent. Avec leurs points, leurs traits, leurs ronds irréguliers, ils disent des chemins. Ils disent la route des amoureux qu’elle ne laissera jamais."
Alice Babin
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