Il y a toujours un petit truc qui travaille dans la tête. Le petit truc s’est immiscé là en regardant un tableau de Matisse, un film de Xavier Dolan, en lisant un livre de Christian Bobin, en regardant quelque chose, quelqu’un, en attrapant une question qu’un autre a posé et qui continue sa vie toute seule…
Le petit truc travaille et alors on voit le monde entier le nourrir. Tout semble lié. C’est une question de regard. On se tricote alors des histoires, on lie les choses les unes aux autres, on cherche à leur donner du sens.
Pour la collection de bijoux pour femme de l’été prochain, je me suis nourrie de sujets dont on parle beaucoup ces derniers temps : L’identité, les recherches ADN, l’appropriation culturelle. Alors je me pose forcément la question : « Et moi ? Je suis quoi dans tout ça ? A quel groupe j’appartiens ? »
Je regarde les autres autour de moi, leur manière de faire, leurs drapeaux, leurs recherches, leurs migrations, leurs révoltes intérieures, leur musique, leurs baskets, leur style, leurs mots, ce qui fait qu’ils sont eux.
Je dérive, je regarde chez moi, je regarde de quoi je suis faite et je vois les souvenirs d’enfance à la campagne, les souvenirs de voyages à la découverte du monde, de rencontres inattendues, de mots échangés un soir sur le canal St Martin et je me dis que je suis le mélange de tous ces souvenirs. J’entend alors la chanson d’Alex Beaupain « Je suis un souvenir » et je me dis que c’est cela une identité, un patchwork : plein de petits bouts d’étoffes collés les uns aux autres.
J’ai un panier tressé à la maison avec des bouts de tissus multicolores rescapés de différents projets : la robe en liberty que ma grand-mère m’a cousue pour mes 10 ans, un bout de wax ramené du Niger en 2006 et dont j’avais fait un coussin dans mon premier appartement parisien, le tissu rose teint à la main par les femmes Mauritaniennes qui me servait de drap pour mes poupées et de paréo à la plage, le morceau de vichy rouge qui sert de nappe d’été pour les pique-nique, une toile de Jouy pour un projet d’étude en arts appliqués, un tissu synthétique brillant vert émeraude pour un déguisement de sirène… Tous sont des fragments de mon histoire.
Je regarde ma bibliothèque et là aussi les livres racontent mes chemins traversés. Une bibliothèque pourrait-elle être une identité ? Quelle est la vôtre ?
J’ai pensé au grenier plein de trésors de notre maison de famille à la campagne. De la boîte de jouets de mon frère remplie de Playmobil, aux piles de livres casés dans de vieux cartons, à la malle à déguisements réunissant des étoffes ramenées de voyages par mon père, des vêtements de jeunesse de ma mère, des chapeaux de ma grand-mère… Je me rappelle les après-midis d’été dans l’herbe où l’on s’habillait avec ces merveilles pour jouer des rôles. Un chapeau cloche rouge rencontrait une chemise persane, quelques perles de plastiques des années 80 complétaient l’attirail et une marguerite à l’oreille, je devenais quelqu’un d’autre. L’identité aimerait-elle se déguiser en une étrangère ou est-ce que mon identité est une étrangère ?
J’ai cherché à rassembler tout cela ensemble : le motif africain, le jouet en plastique, les fleurs du jardin, pour créer mon propre motif, mon drapeau, mon bouquet de fleurs, ma composition.
J’ai croqué les objets, et j’en ai fait une collection de bijoux pour femme car c’est le canal que j’utilise depuis plusieurs années pour exprimer tout cela. J’ai donc dessiné des colliers à accumuler, des bagues fines, des chevalières, des boucles d’oreille dépareillées, des bracelets joncs qui racontent cette histoire, mes souvenirs d’enfance. Le patchwork d’argent et de bronze est devenu une collection des bijoux fabriqués à la main par des artisans Touaregs à partir de mes dessins. Ils ont travaillé dans le feu pour façonner les motifs en volumes, ils ont frappé, gravé, poncé, lustré les métaux. Les motifs sont nés à Paris, les bijoux ont vu le jour au Niger. J’ai ensuite assemblé les éléments d’argent et de bronze et les ai parés de perles de rocailles, de perles chinées, de chaînes dorées ou argentées pour vous offrir « les souvenirs ».
La collection devient notre identité commune le temps d’une saison d’été et entre vos mains, vous qui portez nos bijoux, de nouveaux bouquets vont se composer… Les vôtres, les nôtres, un patchwork que nous pouvons désormais partager.
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