« Un pas devant l’autre, répétez, encore une fois, la marche commence… Lancez-vous ! Suivez les traces… »
Les traces des pas dans le sable s ‘étirent et se déroulent, s’enroulent, tournent et retournent, tirent et se rompent en pointillé.
Un insecte est passé par là, un serpent ici, et le fil d’un cours d’eau désormais sec.
Et là-bas, la grande caravane fait défiler en rang les bêtes et les hommes, tissant des liens entre les puits, entre les gens.
Les traces se répètent, elles forment des motifs qui se reconnaissent, se distinguent, s’enseignent. Elles créent des mailles, des treillis, des tissages, elles s’enroulent comme la corde sifflante autour de la poulie de bois au puits, comme le cordon de cuir autour de la taille des hommes, qui retient le pantalon. Elles suivent les codes de filiation et les codes esthétiques sur les nattes des cheveux des Touaregs, dans le jeu de l’imzad, ce violon monocorde.
Au Désert, on tresse, on tisse, on file, on renoue le dialogue, on serre les liens ou on tire sur la corde, on accroche, on amarre les bagages, on suspend à la branche ou autour du cou, on roule, on déroule, on réenroule, on maintient, on domestique, on maîtrise. On maîtrise l’art du lien à en faire chanter toutes les cordes.
S’il est bien un art commun à tous les nomades sahariens, c’est celui de la sparterie. Il existe de multiples sortes de liens ayant chacun une fonction, un nom, un mode de fabrication, une matière.
Bien souvent, ce sont les femmes qui les façonnent. Cette activité occupe une place tellement importante dans la vie nomade qu’elle n’est pas la spécialité de quelques-unes : toutes en ont connaissance. Au sol, en équipe, elles tressent les fibres en bandes de dix centimètres de largeur environ qu’elles enroulent sur plusieurs mètres ; plus tard, ces bandes assemblées serviront à la fabrication des nattes du toit ou du lit. Il existe une multitude de nattes différentes, utiles à différents usages.
C’est dans le village d’Azel, non loin d’Agadez au Niger que j’ai été un jour faire réaliser une petite collection de paniers. Les femmes restent seules la journée car les hommes sont à la ville afin de vendre les légumes qui poussent dans les jardins.
Les femmes se retrouvent dans une petite case de paille afin de s’organiser. Elles iront planter les palmiers autour des jardins afin que « le désert n’avance pas trop vers l’oasis ». Elles feront sécher les palmes, parfois elles les coloreront, puis, enfin elles les tresseront pour en faire des paniers et tout un petit mobilier léger nomade.
Chaque femme écrit au stylo Bic son nom sur un petit morceau de carton et l’accroche au panier qu’elle a réalisé. Les paniers du groupe sont tous regroupés sous un auvent. La cheffe vient les compter et compte combien de paniers chacune a fait.
Elle fait des bâtons avec le même stylo Bic sur un cahier d’écolier à côté de chaque prénom quand elle lit les étiquettes :
Mariama a fait 3 grands cabas, Halima 5 petits paniers déco, Guicha a fait 5 capelines, 3 sacs de marché, Mariou 10 petites corbeilles multicolores…
Chaque femme reçoit son argent mais un pourcentage de la commande est mis de côté pour faire une mutuelle de santé. Au cas où l’une d’entre elle ou un enfant serait malade.
J’aime le calme de ce village, la sérénité de ces femmes, leur humour, leur savoir-faire, leur éthique.
Les paniers sont emportés dans de grands sacs de riz à l’arrière du pickup. On les tasse, on les empile afin qu’ils prennent le moins de place possible. On les secoue, le sable du désert est partout, parfois une petite gerboise est venue le grignoter alors on l’écarte.
La voiture s’en va dans un nuage de poussière jaune, les paniers quitteront le sol nigérien dans un peu plus de 1000 km…
Le bruit du moteur s’en va lui aussi. Le calme de l’oasis revient. Et les femmes continuent en cercle à tresser…
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